Donovan, barde itinérant, avait pour coutume de se rendre en ce lieu. D'une part pour son hydromel exceptionnel et d'autre part pour le public attentif qu'il ne manquait jamais d'y trouver. Ce soir-là, assis à une table encombrée des chopes vides de ses auditeurs, il s'apprêtait à raconter une histoire dont il était l'unique détenteur actuel : La Légende de Cooro, le nécromancien.
« Approchez, voyageurs ! Allons, venez, n’ayez pas peur ! S’il existe des historiens, il ne faut pas oublier que seuls les bardes sont les détenteurs de la véritable histoire de ce monde…
Il fut un temps, quand le monde était encore jeune et que nulle dynastie n’était encore sur le trône, où les dragons régnaient en seigneurs et maîtres. La terre était leur terrain de chasse, le ciel leur lieu de vie, les océans leurs abreuvoirs, les monts gigantesques leurs abris. Ils vivaient en paix sur cet univers, dévorant certains bipèdes, menant leur petite vie de cour, jusqu’au jour où une gigantesque guerre éclata : l’enfant du roi des royaumes de glace avait été assassiné par un dragon des clans de feu.
Chaque jour qui passait, des centaines de légions draconiques s’entretuaient dans les cieux, teintant les nues du rouge de leur sang ; marquant la terre des cratères de leurs chutes ; brûlant ennemis et alentours…
C’est dans ce climat-ci que grandit un tout jeune garçon au visage angélique du nom de Cooro. De sa véritable apparence, personne n’en garda le souvenir, pas plus que de ce qui se passa jusqu’à ce qu’il atteigne le poste d’archimage des Montagnes de Foudre. Tout ce que la légende nous rappelle, c’est qu’il allait sous peu devenir un grand parmi les grands : un forgeur d’histoire. »
« Attendez un instant ! Je vous vois venir ! Vous vous dites sans doute « ce vieux raseur va encore nous barber avec des histoires à dormir debout ». Eh bien non ! J’ai beaucoup mieux que cela : voici le livre tenu par le grand Cooro lui-même… Car nul à part lui n’est plus à même de nous raconter son histoire, n’est-ce pas ?»
Le barde posa alors sur la table, entre choppes et carafes vides, un livre manuscrit délicatement relié. La couverture, apparemment faite en cuir de dragon, n’annonçait aucun titre. Les pages jaunies du mince volume semblaient prêtes à s’effriter. A l’intérieur, une fine écriture légèrement penchée recouvrait les feuilles.
« Je ne suis ni conteur, ni écrivain, juste magicien. Je ne prétends pas enchanter votre esprit par de belles et mélodiques paroles mais seulement apporter mon témoignage sur les événements dramatiques qui marquèrent mon époque. Les dates ne figurent pas : quand j'ai écrit ces lignes, je ne pensais pas que quelqu’un d’autre que moi les lirait ; puis j’ai oublié quand j’avais écrit quoi. Vous avez donc entre les mains le recueil des notes et comptes rendus que j’ai rédigés en ces temps troublés. Je vous prie de le lire, puis de le faire lire car il est des événements qu’il ne faut pas oublier.
Cooro, Nécromancien, ancien Archimage de la Montagne de Foudre. »
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Ce matin, un dragon est arrivé chez moi, dévastant tout le laboratoire. Les premières frayeurs passées, il m’a affirmé être le porteur d’un message de son souverain, chef des clans de feu. Apparemment, il souhaite mêler les humains à leur conflit. C’est bien la première fois que des dragons nous considèrent autrement que comme des repas consistants et simples d’accès, c’est assez inquiétant… D’un autre côté, tout le monde souffre de la guerre qui les divise, peut-être que, si nous faisions pencher la balance d’un côté, elle prendrait fin. D’autant plus que le marché inclut l’enseignement d’une façon d’appréhender la magie différente de celle que nous connaissons. Je devrais en parler à mes collègues. La prochaine réunion entre magiciens aura lieu dans neuf jours, je leur communiquerai le message là-bas.
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Séraphina n’a pas changé : le jour où elle acceptera de mêler magie et affaires diplomatiques, les lions voleront de leurs propres ailes… Elle s’est opposée farouchement à toute intervention de la guilde des mages dans cette affaire, en menaçant de mort quiconque passerait outre sa décision. Quand je pense que c’est elle qui est à la tête de la guilde… En revanche, onze de mes collègues et plus de la moitié de leurs disciples sont venus me trouver à la fin de la réunion pour proposer leur aide malgré les menaces de Séraphina. Ça nous fait un total d’une soixantaine de personnes dont pas mal d’apprentis, mais c’est toujours mieux que rien. J’enverrai ma réponse ce soir.
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La façon de faire des dragons à propos de la magie est tout simplement surprenante ! Contrairement à nous, ils ont essayé d’utiliser les morts et ce qui y touche de près ou de loin pour alimenter leur magie… et ils ont réussi ! En revanche, il faut admettre que cela n’aura aucun effet positif sur notre réputation… Un pyromancien tout feu tout flamme a beaucoup plus de prestance qu’un mage obscur trifouillant dans le domaine de la mort, mais on arrive à des résultats bien au-delà de toutes nos espérances. Et bien sûr, une bonne partie d’entre nous est envoyée contre les dragons de glace… Mais c’était notre part du marché. A nous de l’honorer.
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Séraphina m’a fait parvenir un mot me demandant de venir d’urgence au palais du roi. Tous mes collègues l’ont reçu, de même que mes apprentis. L’affaire doit vraiment être grave pour qu’elle ait besoin de convoquer tous les pratiquants de magie du royaume… Je me demande ce qu’elle nous veut…
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Cette harpie de Séraphina n’a donc aucun honneur ? La réunion surprise était un piège ! Le seigneur des dragons des glaces a passé un pacte avec le roi : s’il neutralisait définitivement les nécromanciens, il laisserait à la capitale une escouade de ses meilleurs soldats pour la protéger de toute attaque, quelle qu’elle soit. Et le roi, ayant accepté, a confié les pleins pouvoirs à Séraphina qui s’est empressée d’organiser cette pseudo réunion ! Quand le dernier retardataire est arrivé, ils ont fermé toutes les portes du palais à clef, avec une escouade derrière chaque ouverture, que ce soit porte, fenêtre ou toit, puis cette méduse dégénérée a, tout sourire, lu l’édit royal proclamant non seulement la nécromancie hors la loi, mais en plus ordonnant l’exécution immédiate de toute personne coupable de telles pratiques. Ç’a été une boucherie monstrueuse ! Tous ceux qui m’avaient apporté leur soutien au cours de la dernière réunion ont été attaqués, et le temps que nous arrivions à créer une brèche dans le mur Est de la salle, douze d’entre nous étaient déjà morts.
Seul point positif : Séraphina a succombé, semble-t-il, d’un carreau d’arbalète perdu dans la cohue. Mais son enragée d’apprentie a pris son relais, d’autant plus impitoyable qu’elle estime que ce sont les nécromanciens qui ont tué sa défunte maîtresse.
Entre la vipère et sa couvée, je me demande ce qui s’avèrera être le pire…
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Une nouvelle organisation anti nécromanciens a vu le jour : le Tribunal Occulte. Et chacun de ses membres a tous les droits !
J’ai entendu dire qu’ils menaient des enquêtes chez tous les mages, sans exception et que tous les suspects étaient exécutés. Inutile de dire que mes apprentis et moi-même sommes les premiers sur la liste des nécromanciens potentiels. Nous déplorons déjà une vingtaine de morts, pas toujours coupables… Mais où arrêteront-ils ?
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Ça suffit ! Non seulement les lois anti nécromancie s’accumulent, mais la guerre continue de plus belle ! Il faut y mettre un terme au plus vite, sans quoi cette terre ne sera plus qu’une île déserte mi carbonisée, mi gelée ! Je vais me documenter sur son origine et mettre nos meilleurs devins sur l’affaire.
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Après des mois de recherches, nous avons enfin trouvé la cause de ce conflit : le meurtre du fils du Seigneur des glaces. Et le pire, c’est que c’est notre roi qui l’a commandité ! Il estimait que cela exterminerait les dragons une fois pour toute, supprimant ainsi cette menace constante pour l’humanité. Nous avons même le nom de l’assassin. Reste plus qu’à trouver où il habite et j’irai m’occuper de lui personnellement.
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Nous savons enfin où se trouve l’assassin ! J’ai envoyé un message expliquant toute la situation à Emilie : il me faut un témoin impossible à remettre en doute. Elle a accepté de mettre temporairement de côté sa haine des nécromanciens pour tenter de mettre fin à cette situation intenable. Elle nous rejoindra à la nuit tombée, devant l’auberge où loge pour l’instant notre cher futur informateur…
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Il était coriace, mais il a fini par parler. Peu de gens ont une volonté assez puissante pour résister à certains sortilèges de nécromancie… Nous lui avons fait rédiger des aveux signés, puis Emilie et moi nous sommes mis en route pour l’apporter au Seigneur des glaces. Pourvu que cela suffise à tout arrêter !
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Arrivés à la Cour du Nord, deux mots nous sont venus à l’esprit : Trop tard. Seule une poignée de dragons avait survécu des nombreuses rixes, tous blessés, estropiés, à moitié morts de faim… Pire encore, le Seigneur des glaces était mortellement blessé et n’avait plus que quelques heures à vivre. Nous lui avons quand même transmis les aveux de l’assassin. A cette nouvelle, il a semblé reprendre légèrement du poil de la bête, mais on devinait que sitôt sa fureur retombée, il cèderait. Il a demandé que l’un d’entre nous accepte de lui rendre un dernier service : lui servir de guide jusqu’au palais de notre roi, qu’il puisse au moins effacer cette tache à son honneur. J’ai accepté…
Nous sommes arrivés quelques minutes plus tard, démolissant le palais jusqu’à parvenir à la salle du trône où le roi nous a regardé, éberlué et blanc comme un linge. Le dragon avait perdu beaucoup de sang et d’énergie mais il trouva encore la force de lancer cette dernière malédiction : « Tu trouveras ta fin par les ombres ». Le cri qu’il poussa à sa mort effrayant tant le roi humain que, de châtain foncé, ses cheveux devinrent complètement blancs.
J’ai cru entr’apercevoir un survivant dans le coin de la salle. Je l’ai laissé : cette scène restera gravée dans les mémoires. Pour ma part, je me suis empressé de tirer discrètement ma révérence avant que les gardes postés à l’extérieur arrivent.
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Depuis quelques jours, une rumeur parcourt les villes, les villages, les tavernes : le roi est mort, mort d’angoisse. Et effrayé par quoi ? Par l’obscurité soudaine d’une éclipse de soleil ! Il ne faut jamais prendre une malédiction lancée par un dragon à la légère… Il est mort sans héritier, laissant le trône vide. Mais déjà trois factions se sont organisées afin de prendre le pouvoir… Les gens n’apprendront-ils donc jamais ? »
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« Ainsi finit l’histoire de Cooro. Enfin… Ainsi finit ce que nous savons de source sûre de son histoire car des rumeurs racontent que, dégoûté par les actions des humains, il est allé se retirer au plus profond d’un volcan mais qu’il reviendra sûrement si jamais une nouvelle grande guerre éclatait. Pour se joindre à quel camp ? Cela, les rumeurs ne le disent pas…
Quant à son opposante, sitôt la guerre finie, elle est repartie en croisade contre les Nécromanciens. Mais la famine ayant achevé le peu de grands magiciens qui restaient, le nombre de rafles a considérablement diminué pour finalement devenir un simple mauvais souvenir. Emilie finit par mourir de vieillesse, rongée par sa soif de vengeance jamais étanchée.
Avec la mort du roi et de sa paranoïa aiguë, les frontières se sont rouvertes et on voit d’autres clans s’installer en ville. Principalement des elfes mais aussi des voyageurs semblant tout droit sortis d’une autre époque. A cela rien d’étonnant : les guerre de sorciers ont toujours créé des perturbations tant environnementales que temporelles. On raconte notamment que dans les marais se sont ouvertes des portes permettant de voyager à travers le temps…
L’actuel gouverneur de la capitale essaie de pallier à ces événements imprévisibles par des lois étranges… Certains parlent même de camps où on accueillerait les voyageurs temporels par époque. Mais la situation ne durera pas. De plus en plus d’événements étranges surviennent, les devins ne savent plus où donner de la tête, des êtres qu’on croyait disparus réapparaissent…
Le temps des changements est arrivé.
Bientôt, ce pays aura de nouveau un roi ! »
Sam 19 Jan - 1:06